Un devoir de contrôle renforcé imposé aux personnalités politiques dans le cadre de la publication de commentaires haineux par des tiers sur leur “mur” Facebook
(CEDH, 2 septembre 2021, Sanchez c. France)
Le requérant était à l’époque des faits candidat du Front national aux élections législatives dans la ville de Nîmes. Il avait publié sur son mur Facebook, dont il avait la gestion personnelle et qui était ouvert au public, un post concernant la campagne menée par son adversaire politique, premier adjoint au maire de Nîmes. S'en est suivie une série de commentaires de la part de deux tierces personnes assimilant la population musulmane à la délinquance et l’insécurité de la ville, dénonçant la gestion politique de l’adversaire du requérant comme étant à l’origine de cette situation et mentionnant sa compagne - au prénom à consonance maghrébine. À la suite du dépôt de plainte de cette dernière, le tribunal correctionnel de Nîmes a condamné le requérant et les deux individus pour la mise en ligne des propos litigieux sur le mur du compte Facebook du requérant, constitutifs des faits de provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes, à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée. La Cour d’appel de Nîmes a confirmé cette décision, le pourvoi en cassation ayant été rejeté. Le requérant allèguait devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) la violation de l’article 10 de la Convention EDH.
La Cour, suivant le constat opéré par les parties, voit dans la condamnation pénale du requérant une ingérence dans son droit à la liberté d’expression. Partant, elle se livre classiquement à apprécier de la légalité de cette ingérence, de son orientation vers un but légitime et de sa nécessité « dans une société démocratique ».
Les juges strasbourgeois relèvent que les textes sur lesquels a été fondée la condamnation pénale faisaient déjà l’objet d’une jurisprudence constituée tant à l’échelle interne que conventionnelle (CEDH, 16 Juin 2015, Delfi AS c. Estonie n° 64569/09 / CEDH, 16 Juillet 2009, Féret c. Belgique n° 15615/07). Son émergence nouvelle n’a pas vocation à altérer sa portée ; on ne pouvait alors raisonnablement estimer qu’il y avait là une atteinte au principe de sécurité juridique. De la même façon donc, la Cour accueille l’argument selon lequel l’infraction à l’origine de la condamnation du requérant avait vocation à protéger la réputation et les droits d’autrui et confirme donc la légitimité du but poursuivi.
Sur la nécessité, et donc la proportionnalité, de la mesure litigieuse au sein d’une société démocratique, la Cour abonde dans le même sens que les juridictions internes. Selon elle, la liberté de discussion politique demeure relative et l’État dispose à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Plus encore, les personnalités politiques sont investies d’une « responsabilité particulière » lorsqu’il est question de lutter contre les discours haineux et de préserver un environnement démocratique. Retenir la responsabilité pénale du requérant en ce qu’il serait « producteur d’un site de communication au public en ligne » et qu’il aurait ainsi permis la diffusion de propos illicites et contraires aux règles d’utilisation de Facebook n’était donc pas infondé ; un tel statut emporte des obligations relatives à la modération, a fortiori lorsque l’accès au mur Facebook du requérant est public. Enfin, le requérant ayant simplement été condamné au paiement d’une amende d’un montant de 3 000 euros, la Cour n’y voit pas là de disproportion stricto sensu.
La Cour européenne des droits de l’homme conclut ainsi à la non-violation de l’article 10 de la Convention. (Opinion séparée : L’opinion dissidente de la juge Mourou-Vikstrom p. 36-40).
Par Philippine CARPENTIER (Master 2), Yann LESCOP (Master 2) et Lina NATHAN (Master 1)