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ALYDE

Le MAE : une balance entre confiance mutuelle et défaillances systémiques

Dernière mise à jour : 31 mars 2021


Tout en étant l’une des pierres angulaires du marché intérieur, le principe de reconnaissance mutuelle joue un rôle important en matière d’espace de liberté, de sécurité et de justice. Celui-ci vise à assurer « la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène ».[1]


L’un des instruments de cette lutte est le Mandat d’arrêt européen (MAE), régi par la Décision-cadre 2002/584 du Conseil du 13 juin 2002.[2] Le MAE présente une demande émanant d'une autorité judiciaire dans un État membre de l’UE en vue de l'arrestation d'une personne dans un autre État membre et de sa remise pour l’exercice de poursuites pénales, l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté prononcées dans le premier État. Un tel mandat émis par une autorité judiciaire d’un État membre de l’Union, est alors valable sur l’ensemble du territoire de l’UE. Ce mécanisme repose notamment sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et permet aux autorités judiciaires nationales de coopérer étroitement.


Le 20 janvier 2021, le Parlement européen a adopté une résolution sur la mise en œuvre du mandat d'arrêt européen et les procédures de remise entre États membres.[3] Dans un premier temps, le Parlement a considéré que c’est un instrument efficace pour lutter contre la criminalité transfrontalière et traduire en justice les auteurs de crimes graves dans l'État membre où des poursuites pénales ont été engagées ou sont en cours. Il a été souligné que le MAE favorise le maintien de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, tout en facilitant la coopération en matière de remises.

Néanmoins, certains problèmes se sont posés mettant en évidence la nécessité de renforcer et d'améliorer ce mécanisme pour le rendre plus efficace, plus immédiat et plus respectueux des décisions des juridictions nationales. Ces problèmes concernent principalement les conditions de détention et d'emprisonnement, la mise en œuvre dans les procédures du mandat d'arrêt européen des garanties procédurales inscrites dans le droit de l'Union, en particulier le droit à la double représentation juridique dans les États tant d'exécution que d'émission, ainsi que la proportionnalité et les questions spécifiques de l'État de droit.[4]

Dans un deuxième temps, le Parlement a donné plusieurs recommandations pour améliorer le fonctionnement du MAE. L’une d’elles est notamment l’idée de renforcer le principe de coopération loyale et accroître la confiance mutuelle entre les systèmes nationaux de justice pénale. Le but étant d’assurer une coopération judiciaire plus efficace. Il a été relevé qu’en théorie, il conviendrait que la reconnaissance mutuelle soit automatique, sans réévaluation des motifs d’accusation au fond, et qu’il conviendrait de ne pas refuser les décisions, à moins qu’il n’existe des raisons d’invoquer l’un des motifs de refus exhaustivement énumérés dans la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen, ou que d’autres circonstances, reconnues par la Cour de justice de l’UE (CJUE), justifient de mettre des limitations aux principes de reconnaissance et de confiance mutuelles entre les États membres.[5]


Ces motifs de refus peuvent être obligatoires, par exemple si la personne qui fait l'objet du mandat d'arrêt européen ne peut, en raison de son âge, être tenue pénalement responsable des faits à l'origine de ce mandat selon le droit de l'État membre d'exécution.[6]Ils peuvent être aussi facultatifs, un tel motif c’est lorsque la personne qui fait l'objet du MAE est poursuivie dans l'État membre d'exécution pour le même fait que celui qui est à la base du mandat d'arrêt européen.[7]En plus, comme il a été souligné dans la résolution, la CJUE reconnait parfois des cas où un refus d’exécuter un MAE est justifié.


Il y a quelques années, la Cour de justice a considéré qu’une autorité d’exécution peut refuser la remise en cas de risque de traitements inhumains et dégradants liés à la détention dans l’État d’émission. Ce fut le cas notamment dans l’affaire Aranyosi et Caldararu de 2016.[8] Dans sa décision la CJUE a consacré la nécessité d’un double test, en cas de tel risque. D’abord l’autorité d’exécution doit se fonder sur des éléments objectifs et précis sur les conditions de détention qui prévalent dans l’État membre d’émission en « démontrant la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit encore certains centres de détention ».[9] Ensuite cette autorité doit apprécier, de manière concrète et précise, « s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée courra ce risque en raison des conditions de sa détention envisagées dans l’État membre d’émission ».[10] C’est un contrôle à la fois in abstracto et in concreto.


En outre, dans l’affaire LM de 2018[11], la Cour de justice a consacré le même raisonnement concernant un MAE émis par un État membre où l’État de droit est menacé. En l’espèce, il s’agissait d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable, lié à un manque d’indépendance des juridictions en Pologne, du fait de l’action gouvernementale. La Cour a rappelé que la mise en œuvre du mécanisme du mandat d’arrêt européen ne peut être suspendue qu’en cas de violation grave et persistante par un des États membres des principes énoncés à l’article 2 TUE, constatée par le Conseil européen en application de l’article 7, paragraphe 2 du TUE, avec les conséquences prévues au paragraphe 3 du même article.[12] Ce n’est qu’après une telle constatation de violation de ces principes, en particulier celui de l’État de droit « que l’autorité judiciaire d’exécution serait tenue de refuser automatiquement d’exécuter tout mandat d’arrêt européen émis par ledit État membre, sans devoir procéder à une quelconque appréciation concrète du risque réel couru par la personne concernée de voir affecter le contenu essentiel de son droit fondamental à un procès équitable. ».[13]


Ainsi, si à l’époque de cette affaire, la situation de l’État de droit en Pologne ne venait que de commencer, quelques années plus tard il existe déjà plusieurs décisions de la Cour de justice en la matière. Celle-ci a eu l’occasion de revoir sa position, concernant le double test avant la décision de non-exécution d’un MAE, dans les affaires jointes L et P du 17 décembre 2020.[14] Il s’agissait ici de deux MAE émis par les autorités polonaises à l’encontre de deux ressortissants polonais, se trouvant aux Pays-Bas. La Cour néerlandaise estimait que la deuxième étape de la jurisprudence LM concernant les spécificités de l'individu concerné pouvait être abandonnée à la lumière d'une telle détérioration supplémentaire de l'État de droit en Pologne depuis LM. L'argument principal étant que si les déficiences générales et systémiques en sont arrivées à un stade où il devient sûr de supposer que personne ne bénéficiera en fait d'un procès équitable, cette deuxième étape serait inutile. Cela remettait donc en cause la qualité des juridictions polonaises comme des « autorités d’émission ». Réunie en Grande chambre, la CJUE a confirmé sa position à l’égard du double test. D’abord les défaillances systémiques ou généralisées affectant l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission, même graves, ne pourraient pas atteindre un point où l'on ne peut plus considérer les juridictions polonaises comme des « autorités d'émission » à la lumière de la Décision-cadre du MAE.[15] C’est-à-dire que le fonctionnement du MAE doit être préservé d’une présomption automatique.


Une telle solution, selon la Cour de justice, aurait d’autres conséquences très importantes puisqu’elle impliquerait, notamment, que les juridictions de cet État membre ne pourraient plus la saisir d’un renvoi préjudiciel, par exemple. L’aggravation de ces défaillances ne permet pas de présumer une violation du droit au procès équitable de la personne faisant l’objet du MAE. Cette aggravation peut inciter l’autorité judiciaire d’exécution à la vigilance mais ne saurait la dispenser de procéder, conformément à la seconde étape du test, à une appréciation concrète et précise du risque en cause.[16] La Cour a alors considéré que même s’il existe d’éléments témoignant de telles défaillances dans l’État membre d’émission du MAE, qui existaient déjà ou qui sont survenues postérieurement à cette émission, l’autorité d’exécution ne peut dénier la qualité d’« autorité judiciaire d’émission » à la juridiction qui a émis ledit mandat d’arrêt. De plus, elle ne peut présumer qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que cette personne courra, en cas de remise à ce dernier État membre, un risque réel de violation de son droit fondamental à un procès équitable, sans procéder à une vérification concrète et précise. Le double test est alors confirmé.


Il semble alors que la Cour de justice estime que les déficiences systémiques ne peuvent pas atteindre un point bas permettant à la juridiction d'exécution de se passer de la deuxième étape de la jurisprudence LM, en présumant que la personne ne sera pas soumise à un procès équitable. La CJUE assimile cependant une telle présomption à la « suspension de facto » du mécanisme du MAE[17] en contournant le processus politique prescrit par la procédure de l’article 7 TUE. Enfin, elle opère une distinction entre les fins du MAE. D’un côté si celui-ci a été émis à des fins de poursuites pénales, l’autorité judiciaire d’exécution doit tenir compte des défaillances systémiques ou généralisées concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission qui seraient survenues après l’émission du MAE concerné. En plus, elle doit évaluer dans quelle mesure ces défaillances sont susceptibles d’avoir une incidence sur les juridictions de cet État membre qui seront compétentes pour connaître des procédures auxquelles sera soumise la personne concernée. D’autre part, si le MAE a été émis en vue de la remise d’une personne recherchée pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, l’autorité judiciaire d’exécution doit examiner dans quelle mesure les défaillances ont, dans les circonstances de l’espèce, affecté l’indépendance de la juridiction de cet État membre qui a prononcé la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté dont l’exécution fait l’objet de ce MAE.


En même temps, dans sa résolution du 21 janvier 2020 le Parlement européen souligne qu’il convient de renforcer et d’améliorer le MAE pour le rendre plus efficace et « plus respectueux des décisions des tribunaux nationaux, dans le respect du principe de proportionnalité ». L’un des objectifs d’une Union plus forte exige la confiance des États membres dans les systèmes judiciaires et pénitentiaires des autres États membres, et le mécanisme du mandat d’arrêt européen est considéré comme essentiel à cette fin. Le Parlement a souligné en plus le fait que le déclenchement de l’article 7, paragraphes 1 et 2 du TUE n’équivaut pas à la non-reconnaissance automatique compte tenu de l’importance de la coopération en matière pénale et du fonctionnement du système européen de coopération judiciaire dans son ensemble. C’est ainsi une position qui s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour. D’abord en confirmant l’exigence du double test avant la décision de non-exécution d’un mandat d’arrêt européen et en refusant la non-reconnaissance automatique.


Étudiant du M2 Droit européen des affaires, promotion 2020-2021



[1] Art. 3 §2 TUE [2] 2002/584/JAI: Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres [3] Résolution du Parlement européen du 20 janvier 2021 sur la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen et des procédures de remise entre États membres (2019/2207(INI)) [4] point 3 [5] point 11 [6] Art. 3 (3) Décision cadre 2002/584 [7] Art 4 (2) [8] CJUE, 5 Avril 2016, aff. jointes C-404/15 et C-659/15 PPU, Pál Aranyosi et Robert Căldăraru [9] para. 89 [10] para. 92 [11] CJUE, 25 Juillet 2018, aff.C‑216/18, PPU, LM [12] para. 70 [13] para. 72 [14] CJUE, 17 décembre 2020, aff. jointes C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, L P [15] Décision cadre 2002/584, art. 6 §1 [16] para. 60 [17] para. 59


Sources :


• Portail européen e-Justice - Informations sur les outils d'aide destinés à faciliter le travail des juridictions et des praticiens du droit au niveau de l'UE et dans les États membres : Le mandat d’arrêt européen

• Centre d’études juridiques européennes, « Les défaillances du système judiciaire polonais peuvent justifier un refus de mise en œuvre d’un mandat d’arrêt européen », Elisabet Ruiz Cairó , 29 août 2018

• Résolution du Parlement européen du 20 janvier 2021 sur la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen et des procédures de remise entre États membres (2019/2207(INI))

• Legislative Observatory, « The Implementation of the European Arrest Warrant and the Surrender Procedures between Member States », 2019/2207(INI), 20/01/2021

• Cour de justice de l’Union européenne, Communique de presse n° 164/20, Luxembourg, le 17 décembre 2020

• CJUE, 17 décembre 2020, aff. jointes C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, L P

• CJUE, 25 Juillet 2018, aff.C‑216/18, PPU, LM

• CJUE, 5 Avril 2016, aff. jointes C-404/15 et C-659/15 PPU, Pál Aranyosi et Robert Căldăraru

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