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ALYDE

L'agence Frontex accusée d'atteinte aux droits fondamentaux et au principe de non-refoulement

C’est le 23 février dernier que s’est tenue la réunion constitutive de la commission des libertés civiles du Parlement européen chargée d’enquêter sur les accusations gravitant autour de l’agence européenne des garde-côtes et des garde-frontières, Frontex. Comme l’avait annoncé le Parlement européen le 29 janvier [1], le “Frontex Scrutiny Working Group” passera au crible pour une durée de quatre mois les agissements de l’Agence à la suite d’accusations de violations des droits fondamentaux, et plus particulièrement du principe de non-refoulement. Ce dernier est protégé tant en droit international qu’en droit européen et interdit aux Etats de renvoyer une personne dans un État où sa vie serait menacée.


Les allégations de violations par l’Agence s’étaient ravivées en octobre 2020 suite aux accusations de violation du droit au non-refoulement par des médias européens, notamment dans la mer Egée [2]. L’hebdomadaire allemand Spiegel avait ainsi obtenu une vidéo dans laquelle nous pouvions voir un bateau de l’agence Frontex bloquer le passage à une embarcation de migrants, puis provoquer de grandes vagues afin de le déstabiliser ; les garde-côtes grecs l’avaient obligé ensuite à faire demi-tour en direction de la Turquie, tout cela témoignant d’une violation manifeste du droit au non -refoulement, voire du droit à la vie tant l’embarcation a été ébranlée par les vagues [3].


Ces allégations prennent leurs racines dans la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016 qui prévoit que la Turquie doit retenir sur son territoire les demandeurs d’asile cherchant à rejoindre l’Europe en foulant le sol grec via les terres turques, en échange d’une « aide » de six milliards d’euros versée en deux paiements [4] par l’Union à l’Etat tiers. Dans cette déclaration, l’Union semble se justifier en amont de toutes les critiques et les controverses dont elle pourrait être la cible, notamment du point de vue du principe de non-refoulement inscrit en droit international et en droit de l’Union : “Tous les migrants seront protégés conformément aux normes internationales applicables et dans le respect du principe de non-refoulement. Il s'agira d'une mesure temporaire et extraordinaire, qui est nécessaire pour mettre un terme aux souffrances humaines et pour rétablir l'ordre public.” [5].


Les allégations de l'hebdomadaire Spiegel ne sont pas nouvelles : déjà en 2017, Amnesty International avait recensé des cas “où des demandeurs d’asile syriens [avaient] été renvoyés de force en Turquie sans avoir pu déposer leur demande et sans pouvoir contester leur renvoi, en violation du droit international. D’autres sont repartis en Turquie « de leur plein gré » en raison de la situation désastreuse sur les îles grecques.” [6].

Par ailleurs, de telles accusations ne sont pas propres à la frontière helléno-turque : déjà en 2016, des accusations d’atteintes au principe de non-refoulement et à l’immunité pour l’entrée irrégulière étaient dirigées contre l'opération Flexible de l’agence européenne menée en Hongrie [7]. Pour se dédouaner des critiques à son égard, Frontex avait mis en place la même année un système de plaintes [8], celui-ci étant un simple élément de communication puisqu’il ne permet que des sanctions disciplinaires selon une procédure administrative interne alors même que l’on parle de violation de droits fondamentaux. Une telle enquête interne a été mise en place en 2020 à la suite des accusations de l'hebdomadaire allemand, mais celle-ci a été clôturée à la hâte, révélant une fois de plus son inefficacité [9].


La mise en place de cette commission d’enquête par le Parlement Européen fait écho à l’ouverture d’une enquête par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) au mois de janvier 2021 à l’encontre de l’Agence Frontex. Cette enquête est particulièrement révélatrice puisque si la mission première de l’OLAF est de “révéler la corruption ou la fraude au sein des autorités de l'UE [...] il enquête également sur les manquements présumés des fonctionnaires et autres membres du personnel des institutions européennes” [10]. En ce sens, selon la radio allemande Deutsche Welle, l’enquête de l’OLAF viserait les allégations de refoulements illégaux de migrants en mer Egée commis par l’Agence, mais également celles de mauvaise conduite et de harcèlement par des agents de Frontex. Une perquisition au siège de l’Agence, à Varsovie, a ainsi eu lieu en décembre 2020. Les bureaux du directeur, Fabrice Leggeri - que des députés du Parlement Européen ont appelé à la démission à la suite des allégations d’octobre 2020 -, ont été perquisitionnés. A ce jour, l’OLAF n’a pas donné de détails complémentaires sur les raisons de cette enquête ni les informations obtenues dans le cadre de celle-ci. Pour sa part, la porte-parole de l’Agence Frontex a déclaré que “conformément à sa politique de transparence, Frontex coopère pleinement avec l'OLAF” [11].


C’est dans ce contexte que, ce jeudi 4 mars, la commission du Parlement européen chargée de l’enquête a auditionné Fabrice Leggeri. Bien qu’il ait à nouveau affirmé qu’aucun refoulement imputable à l’Agence n’avait été commis – ce qui a été confirmé dans le rapport du Conseil d’administration de l’Agence le 5 mars -, il s’est engagé à être transparent sur les activités de Frontex ainsi qu’à remédier à ses défaillances [12]. Le directeur exécutif de l’Agence est également revenu sur le flou juridique gravitant autour du règlement 656/2014 relatif aux règles pour la surveillance des frontières maritimes extérieures de l’Union [13], comme pour justifier les différentes accusations dont son agence avait pu faire l’objet, notamment celles prenant place dans la mer Egée. Si cette audition n’a pas convaincu les membres de la commission d’enquête, elle visait surtout à faire peser une pression politique sur le directeur exécutif de l’Agence.


Ces enquêtes semblent donc plus que nécessaires, d’autant plus qu’elles révèlent la presque impossible mise en responsabilité de l’Agence jusqu’à ce jour : puisque les opérations menées par Frontex sont des opérations conjointes avec les Etats hôtes, seuls ces derniers seront tenus pour responsables d’une quelconque violation. Pourtant, l’Agence a un pouvoir d’initiative pour lancer des opérations en mer et sur terre ; par ailleurs, son directeur exécutif a le pouvoir de suspendre une opération qui porterait atteinte aux droits fondamentaux. Ainsi, si les droits fondamentaux semblent être au cœur des missions de l’Agence, il semble qu’il ne s’agisse que d’une coquille vide. La députée européenne Tineke Strik, chargée de la rédaction du rapport d’enquête final, souligne que cette enquête est la première étape vers la “responsabilisation indispensable de Frontex” [14].

Il nous faut désormais attendre la prochaine réunion de la commission d’enquête afin d’en connaître les avancées ; celle-ci aura lieu avant Pâques [15].



Étudiante du M1 Droit européen des droits de l'Homme, promotion 2020-2021



[5] Ibid, point 1)

[7] L’opération Flexible met à disposition de la Hongrie 51 officiers chargés de participer à des patrouilles et contrôles aux côtés de la police hongroise (Cédric Vallet, « A la frontière serbe, Frontex s’embourbe dans la galère hongroise », Libération, 2016 [en ligne])

[8] MIGREUROP, Atlas des migrants en Europe, Paris, Armand Colin, 2017, p.111

[11] Ibid


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