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L’incompétence de la juridiction administrative afin de permettre la sortie de ressortissant français bloqué dans de la bande de Gaza 

 

(Conseil d'Etat,16 janvier 2024, n° 490691)

Le présent arrêt a été rendu par le Conseil d’état le 16 janvier 2024. Il traite d’une demande de laissez-passer consulaire formulée par une ressortissante française bloquée dans la bande de Gaza avec son fils mineur. 

En l’espèce, la requérante est une ressortissante française résidant dans la bande de Gaza, depuis le début du conflit cette dernière a perdu deux de ses enfants, décédés à cause du conflit et a donc décidé de se réfugier à Rafah avec son dernier fils, qui est malade. La mère et l’enfant se retrouve donc dans le Nord de la bande de Gaza à la frontière avec l’Égypte. Cette dernière saisit le juge des référés du Tribunal Administratif de Paris (ci-après “TA”) afin que ce dernier enjoigne les autorités compétentes de leur délivrer un laissez-passer consulaire. Le TA a fait droit à sa demande et demandé la délivrance de ce laissez-passer dans un délai de vingt-quatre heures après réception de l’ordonnance de référé.

La Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères demande au juge des référés du Conseil d'Etat d’annuler l’ordonnance.

La Ministre soutient qu’il y a un défaut de compétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur cette demande de laissez-passer consulaire, au motif que la mise en place de mesures permettant la sortie de la bande de Gaza nécessite un accord des autorités israéliennes et égyptiennes, ce qui n’est pas détachable de la conduite des relations internationale de la France. Elle soutient également que la condition d’urgence n’est pas remplie. En effet, l’intéressée et son fils n’ont pas réussi à quitter la bande de Gaza. Or, seul dans ce cas précis un laissez-passer consulaire pourrait être considéré comme une mesure utile.

De plus, un laissez-passer consulaire devant être remis en personne, la situation matérielle de Gaza rend cela matériellement impossible. La requérante demande quant à elle au juge des référés du Conseil d’état d’enjoindre à la Ministre et aux autorités administratives de prendre toute mesure utile afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales à leurs libertés fondamentales afin d’assurer sa protection et celle de son fils. Elle invoque également la nécessité de les placer sur la liste des personnes à évacuer en priorité, ainsi que de procéder au rapatriement de son fils de façon distincte et en priorité.

Elle soutient également que la juridiction administrative est compétente et que la condition d’urgence est remplie dès lors que pèse sur la France une obligation de moyens visant à rendre concret et effectif l'exercice de leur droit d'entrer sur le territoire national, en ajoutant que l’état de santé préoccupant de son fils justifie que soit prise immédiatement toute mesure d’évacuation. 

Le Conseil d’Etat énonce que, contrairement à ce qu’avance la Ministre, le laissez-passer consulaire est une démarche administrative relevant de la seule compétence de l’Etat français. Il concerne donc une procédure détachable de l'exercice des pouvoirs du Gouvernement dans la conduite des relations diplomatiques. Le Conseil conclut à la compétence de la juridiction administrative pour connaître de cette affaire. Nonobstant, l’inscription sur listes des personnes à évacuer sont soumis à une exigence de validation des autorités israéliennes et égyptiennes. Ces démarches, nécessitant des phases de négociation, sont, quant à elles, non détachables de la conduite des relations diplomatiques par le Gouvernement français. Ainsi, la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître des conclusions présentées par la voie de l'appel incident de la requérante, tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat français de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour lui permettre, à elle ainsi qu'à son fils mineur, d'évacuer la bande de Gaza. Eu égard à la condition d’urgence, le Conseil admet la situation humanitaire au sein de Gaza, et le fait que la vie de la requérante et de son fils soit engagée.

Cependant, le Conseil énonce que la ministre a justement relevé qu’il n’était pas possible de remettre le laissez-passer en main propre, ainsi que le fait que ce type de documents est utile une fois entré sur le territoire égyptien. Ainsi, la délivrance d’un laissez-passer ne pourrait permettre d'accroître les chances de la requérante dans la mesure où son placement sur les listes des personnes évacuées est un prérequis nécessaire, qui exige une autorisation des autorités israéliennes et égyptiennes. 

Puisque la Ministre s’est engagée à remettre ce document à la requérante dès qu’elle aurait quitté le territoire de Gaza, la requérante ne peut se prévaloir d’une situation d’urgence à se voir délivrer des laissez-passer consulaires, ou tout autre document nécessaire pour entrer en France, car il conviendra dans un premier temps de sortir de la bande de Gaza. 

En définitive, l’absence de délivrance des documents ne peut être considérée comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les requérants. Le Conseil énonce donc qu’il y a lieu d’annuler l’ordonnance du juge des référés du TA enjoignant la délivrance d’un laissez-passer consulaire. 

Tessa Hamani

M2 DEDH 

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