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La Cour européenne des droits de l’Homme condamne la France pour l’encerclement de manifestants par les forces de l’ordre

 

(CEDH, 8 février 2024, Auray et autres c. France, n°1162/22)

 

La nasse, également appelée encagement, est une méthode de maintien de l'ordre qui isole et enferme une partie des manifestants dans l'espace public, tel qu'une rue, en utilisant des barrages policiers ou du mobilier urbain. Les issues sont souvent contrôlées ou limitées, et la durée de la mesure est indéterminée.

 

L'affaire Auray et autres c. France concerne l'encerclement des manifestants sur la place Bellecour à Lyon le 21 octobre 2010, lors d'une protestation contre un projet de loi sur la réforme des retraites. Les autorités ont isolé les manifestants qualifiés de « fauteurs de troubles potentiellement violents » pour assurer la sécurité publique. Des centaines de manifestants ont été bloqués pendant plusieurs heures sans autorisation de quitter les lieux ou de se désaltérer. Les forces de l'ordre ont eu recours à des grenades lacrymogènes et à des canons à eau pour maintenir l'encerclement. Environ une centaine de personnes, identifiées « comme n’étant pas des casseurs », ont été autorisées à partir avant la fin de l'encerclement.

 

Au cours de la procédure, une question de constitutionnalité a été soulevée concernant l'article 1er de la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995, qui réglementait l'utilisation de l'encerclement par les forces de l'ordre. Les requérants ont contesté le manque de garanties pour les libertés publiques lors de l’usage de l’encerclement par les forces de l’ordre. Cependant, le Conseil constitutionnel (12 mars 2021, n°2020-889 QPC) a souligné que cette loi visait simplement à conférer à l'État la mission de maintien de l'ordre public. Il a également jugé que l’article 1er n'encadrait pas de manière insuffisante le recours à cette technique, la déclarant conforme à la Constitution.

 

Après avoir épuisé les recours internes, les requérants portent leur affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ils invoquent une violation du droit à la liberté et à la sûreté (art. 5 Conv. EDH), ainsi que des libertés de circulation (art. 2 du protocole n° 4 Conv. EDH), d’expression (art. 10 Conv. EDH) et de réunion pacifique (art. 11 Conv. EDH).

 

La Cour reconnaît que la restriction à la liberté individuelle était nécessaire pour prévenir un risque réel de dommages graves aux personnes ou aux biens, et qu'elle a été appliquée de manière aussi minimale que possible dans ce but. Par conséquent, elle conclut que la technique de l'encerclement, compte tenu de sa nature et de ses modalités d'exécution, n'a pas constitué une « privation de liberté » au sens de l'article 5§1 de la Convention.

En ce qui concerne les griefs relatifs aux libertés de circulation, d'expression et de réunion pacifique, la Cour rappelle que toute mesure restreignant ces libertés doit être « prévue par la loi ». Elle constate que le cadre juridique général relatif au maintien de l'ordre en vigueur à l'époque des événements litigieux n'était pas suffisamment précis pour encadrer l'utilisation de la technique de l'encerclement afin de prévenir les atteintes arbitraires aux libertés individuelles. Par conséquent, la Cour conclut que le recours à cette technique par les forces de l'ordre n'était pas « prévu par la loi » au sens des dispositions invoquées. Ainsi, la Cour conclut à la violation de l'article 2 du Protocole n°4 et de l'article 11 de la Convention, interprétés à la lumière de l'article 10.

 

Il est pertinent de souligner que la double condamnation de la France découle uniquement du fait que, lors des événements litigieux, l'encerclement policier n'était pas prévu par la loi. De plus, le Conseil d’État (10 juin 2021, n°444849) avait annulé le premier schéma national du maintien de l’ordre, notamment en ce qui concerne la pratique de la nasse. La nouvelle version du schéma, publiée en décembre 2021 (contre laquelle un recours est pendant), établit les conditions de mise en œuvre de la nasse, ce qui pourrait encadrer légalement l'encerclement policier.

 

Avec la répétition de l'utilisation de la nasse lors des manifestations contre la réforme des retraites notamment, de nouveaux contentieux pourraient surgir, amenant la Cour à examiner la légalité et la proportionnalité de ces actions. Si une situation similaire se présente après l'adoption du nouveau schéma national du maintien de l’ordre, la Cour pourrait conclure que l'encerclement policier est désormais prévu par la loi mais n’est pas proportionné.

 

Anastacia Otrochevskii

M2 DEDH

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