L’Italie condamnée par la CEDH pour mauvaise prise en charge d’un détenu atteint de troubles psychiatriques
(CEDH, 24 janvier 2022, Sy c. Italie, req. n°11791/20)
Dans un arrêt du 24 janvier 2022, l’Italie a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants), 5§§1 et 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 6§1 (droit au procès équitable) et 34 (droit de requête individuelle) de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (la Convention).
En l’espèce, une personne atteinte de troubles psychiatriques a été maintenue en détention ordinaire alors que plusieurs décisions issues des juridictions italiennes avaient ordonné son placement en résidence pour l’exécution d’une mesure de sûreté (« REMS »). Le requérant alléguait, entre autres, qu’il n’avait pas pu faire l’objet de traitements adaptés à ses troubles psychiatriques et n’avait pas eu accès à des recours internes.
Dans un premier temps, la Cour s’étend sur les conditions de recevabilité de l’affaire et balaye l’exception de non-épuisement des voies de recours alléguée par le gouvernement. Elle s’étend néanmoins un peu plus sur le respect du délai de 6 mois (4 mois aujourd’hui) et précise cette condition. En reprenant sa jurisprudence, elle explique qu’en cas de situation continue, comme la détention, le délai ne commence à courir que lorsque la situation cesse. Le requérant a été détenu à deux reprises entrecoupées par une remise en liberté. La Cour a considéré que la situation était continue pour les deux périodes de détention mais qu’elle ne pouvait se prononcer sur la période de liberté. Assez étonnamment, elle considère donc les deux périodes d’incarcération comme partie d’une seule et même situation continue et exclu l’intervalle durant lequel le requérant a été libéré.
Dans un deuxième temps, la Cour, en rappelant que « l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques » explique que l’absence de soins médicaux adéquats en détention constitue un traitement inhumain et dégradant et ce, que les troubles soient physiques ou psychiques. L’état de santé mentale du requérant étant incompatible avec une détention ordinaire selon des experts, il y a eu violation de l’article 3.
Concernant la violation de l’article 5§1, la Cour distingue deux périodes. Pour être conforme à la Convention, une privation de liberté doit répondre à l’un des cinq motifs listés à l’article 5§1 de la convention. La première période correspond au motif de l’article 5§1a) (détention régulière après condamnation par un tribunal compétent) et n'entraîne pas de violation de la Convention. La seconde période concerne la détention d’une personne « aliénée » (article 5§1e de la Convention) et non d’une détention après condamnation. Ici, les conditions d’application de l’article 5§1e) sont réunies : les troubles psychiatriques et la dangerosité du détenu sont établis et nécessitent une privation de liberté tant qu’ils persistent. Toutefois, le détenu, qui aurait dû être placé en REMS pour recevoir des soins adaptés, ne l’a jamais été, faute de place. Or, si un retard dans l’exécution d’un placement en REMS est envisageable, il ne peut l’être indéfiniment. Le gouvernement, sachant ne pas avoir de place suffisante n’a pas créé de place supplémentaire en REMS et a allégué que cela était, entre autres, dû au Covid-19, mais ne l’a pas suffisamment justifié. De même, alors que la CEDH avait ordonné à l’Italie, comme mesure provisoire, de placer le requérant en REMS, le Gouvernement s’est justifié de la même façon et n’a effectué le placement que 34 jours après l’adoption de la mesure, ce qui n’est pas un délai raisonnable. Dès lors, la Cour constate des violations des articles 5§1 et 34.
Enfin, il est rappelé qu’en cas de violation d’un article de la Convention, il existe une forte présomption de préjudice moral et donc que de n’ouvrir un recours en réparation qu’en cas de faute de l’autorité défenderesse ne satisfait pas l’exigence de recours effectif. Il y a donc violation de l’article 5§5. Aussi, l’article 6§1 impose une obligation d’exécution des décisions or, en l’espèce, les décisions du 21 janvier et du 20 mai (placement en REMS et remise en liberté) n’ont pas été exécutées ce qui constitue une violation du droit au procès équitable.
Par Charlotte VINCENT (M2 Droit Européen des Droits de l’Homme)