

La CEDH refuse la co-maternité pour les couples de femmes ayant recours à la PMA.
CEDH, 12 novembre 2024, R.F et autres c. Allemagne, n°46808/16
La procréation médicalement assistée (PMA) suscite de vifs débats dans les Etats membres. Face à cela, la Cour doit à la fois protéger les enfants issus de PMA, leurs parents biologiques et d’intention, tout en devant composer avec des volontés farouches d’exclure toute reconnaissance des situations occasionnées par la PMA.
Dans cet arrêt rendu le 14 novembre 2024, la Cour avait à traiter la requête de deux mères et leur enfant issu de la PMA. Les requérantes sont deux femmes allemandes vivant sous le régime du partenariat enregistré. La PMA étant interdite en Allemagne, elles se sont rendues en Belgique en 2013 pour y avoir recours. Leur enfant est alors né d’une fécondation in vitro à partir d’un ovule de la première requérante, du sperme d’un donneur anonyme suivie d’une transplantation dans l’utérus de la seconde requérante. Cette dernière est celle qui a donné naissance à l’enfant et a donc été enregistrée comme sa mère, la case du père étant non remplie. Les juridictions allemandes ont refusé de reconnaître la première requérante comme mère de l’enfant, comme mère génétique et comme partenaire de la mère ayant donné naissance à l’enfant. Elle dispose toutefois de l’autorité parentale sur l’enfant puisqu’elle l’a maintenant adopté. Les requérantes demandaient qu’une double filiation maternelle, soit reconnue automatiquement par une présomption de co-maternité. Il s'agit ici de reconnaître juridiquement aux deux requérantes la maternité, en ce qu’elles en ont toutes deux participé à la conception de l’enfant.
Les requérantes ont saisi la Cour en leur nom ainsi que celui de leur enfant afin de faire constater une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) concernant le droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi qu’une violation de l’article 14 combiné à l’article 8 en raison d’une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. La Cour a conclu à une absence de violation de l’article 8 en ce que l’Etat allemand n’avait pas manqué à son obligation de protection de la vie privée et familiale, au motif principal que l’adoption de l’enfant avait été possible pour la première requérante. Nul doute que les requérants cherchent ici à faire évoluer le droit allemand, et a fortiori la jurisprudence de la Cour, concernant la double maternité ou la reconnaissance automatique du lien d’un lien de filiation pour les couples de femmes dans une PMA.
La Cour EDH a conclu que le droit allemand offrait une possibilité légale d’établissement de la filiation par le biais de l’adoption qui était conforme à la Convention. L’adoption représenterait une voie suffisamment satisfaisante pour reconnaître juridiquement le lien parental entre l’enfant et la mère génétique non biologique. Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour en matière de filiation issue d’une GPA.
I - Balance des intérêts publics et privés : la prudence de la Cour
Compte tenu de l’importance de la question en ce qu’elle touche à l’identité d’un individu dont la filiation pourrait ne pas être reconnue avec justesse, la marge d’appréciation laissée à l’Etat allemand aurait pu être restreinte. Cependant, la Cour considère qu’elle doit au contraire être large en raison de l’absence de consensus des Etats membres du Conseil de l’Europe sur cette question et alors que « l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large » (§61).
Notons que les requérants ne contestaient pas non plus la grande marge d’appréciation laissée à l’Allemagne. Rien d’étonnant à ce que la Cour tente de tenir son rôle subsidiaire par rapport aux autorités nationales, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une question touchant à la bioéthique qui suscite de vifs débats dans les Etats. La Cour ayant eu recours à l’analyse des législations des Etats membres du Conseil de l’Europe, il est probable qu’une évolution progressive des situations dans les Etats amène à une évolution de sa jurisprudence. Par exemple, l’Espagne reconnaît depuis peu la co-maternité aux couples de femmes à la suite d’une PMA. C’est par l’expression expresse de sa volonté, avant la naissance de l’enfant, que la mère qui n’accouche pas reconnaît sa filiation à celui-ci. L’Espagne ne reconnaît toutefois pas non plus la présomption de maternité comme en bénéficient les hommes dans des couples hétérosexuels.
L’intérêt public correspond à la nécessité pour les autorités allemandes de « garantir à tout enfant une attribution juridique sans équivoque à sa mère dès la naissance, d’éviter des maternités dissociées et les éventuels conflits de maternité qui pourraient en résulter et de ne pas saper l’interdiction de la gestation pour autrui » (§65).
D’autre part, il est nécessaire de prendre en compte le désir des requérants que le lien génétique que le requérant et que la première requérante, mère génétique non gestatrice, soit reconnu afin, notamment, que les deux mères puissent bénéficier de l’autorité parentale. Comme l’a rappelé la Cour à de nombreuses reprises, l’intérêt de l’enfant, lorsqu’il est mis en balance avec d’autres intérêts, doit primer. Ici, les requérants et l’Allemagne invoquent tous deux l’intérêt supérieur de l’enfant à leur profit. D’une part l’intérêt d’avoir une filiation juridique qui correspond à sa réalité sociale, et d’autre part, éviter une maternité fractionnée.
L’intérêt supérieur de l’enfant pourrait laisser penser qu’il ne peut être lésé par une situation qui n’est pas de son fait comme une conception en dehors du cadre légal de l’Etat. Pourtant la Cour soulève que « l’attribution exclusive du rôle de mère légale à la mère gestatrice n’a pas uniquement une dimension de prévention générale à l’égard de futurs parents potentiels : elle sert aussi à attribuer de manière univoque et immédiate l’enfant à sa mère légale et à protéger le bien-être de l’enfant dans l’éventualité où des conflits surviendraient entre les deux partenaires réclamant le rôle de mère ». Cette notion a toujours été au cœur des analyses de la Cour sur la filiation issue d’une PMA ou d’une GPA, notamment depuis sa jurisprudence Mennesson c. France.
II - L’adoption : une solution suffisante en l’espèce seulement
C’est finalement la possibilité d’adoption qui est déterminante dans l’analyse de la Cour.
Elle écarte la violation de l’article 8 dans son volet « vie familiale » à l’égard de la première mère, génétique non gestatrice, au motif qu’elle a finalement adopté l’enfant. La jurisprudence de la Cour n’indique pas, en effet, que l’article 8 impose aux Etats d’instaurer des mécanismes de reconnaissance automatique de la qualité de parent pour les parents d’intention. La difficulté réside toutefois ici dans le fait que la requérante n’est pas une simple mère d’intention, en ce qu’elle a un lien génétique et biologique avec l’enfant. Elle applique ici le raisonnement qu’elle tient en termes de gestation pour autrui en centrant son analyse sur la possibilité d’une adoption. Dans un avis consultatif du 10 avril 2019 portant sur le protocole 16, la Cour avait en effet déjà affirmé que, si l’intérêt supérieur de l’enfant implique une reconnaissance de la filiation à l’égard du parent d’intention dans le cadre d’une GPA pratiquée à l’étranger, les Etats disposent toutefois d’une marge d’appréciation quant à la forme que peut ou non prendre cette reconnaissance de filiation, notamment quand l’adoption est proposée.
Même du point de vue de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’adoption est encore au centre de l’argumentation de la Cour. D’une part, le requérant a bel et bien été adopté par la première requérante qui dispose donc maintenant de l’autorité parentale, mais il s’agit également d’une preuve que les autorités allemandes ont fait primer son intérêt supérieur en autorisant l’adoption dans une situation dont l’origine est illégale. Elle constitue le point névralgique qui fait tenir tout le système de filiation à la suite d’une PMA par un couple de même sexe. La Cour, en considérant que l’adoption est une solution suffisante, dévie le problème de la filiation à l’exercice de la parentalité. Seulement, la filiation présente un intérêt certes pour que le parent puisse exercer sur lui l’autorité parentale concordante avec les liens sociaux qu’il entretient avec l’enfant. Mais elle est également importante dans la reconnaissance de l’identité de ce dernier, un lien de parentalité ne peut pas toujours remplacer un lien de parenté.
Il convient toutefois de noter que les procédures d’adoption ne sont pas uniformes dans les Etats européens, notamment pour les couples de même sexe qui peuvent être longues et complexes. Des difficultés d’accès à la procédure pourraient amener à une incertitude de l’enfant quant à son identité personnelle, au-delà de l’instabilité juridique. Toutefois, la Cour prend acte de ces difficultés puisqu’elle affirme prendre en compte les conditions effectives d’accès à l’adoption dans ses interprétations. Dans son avis du 10 avril 2019, elle subordonne la reconnaissance du lien de filiation par adoption comme solution de filiation un parent d’intention dans le cadre d’une GPA à « la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant ».
L’adoption n’est par ailleurs pas automatique donc elle ne permet pas toujours d’assurer une protection immédiate et effective de l’enfant. Il peut se retrouver dans une situation juridique précaire, avec un lien de filiation établi avec seulement un de ses parents. Cela peut occasionner des difficultés en cas de succession, de nationalité ou de prestations sociales, ou encore en cas d’abandon d’un parent avec qui il n’aurait pas de lien juridique avant que l’adoption ne soit prononcée. Si elle s’est attachée aux faits d’espèce des requérants, la solution laisse toutefois place à des incertitudes pour d’autres situations.
Rachel DELAMARE
M2 DEDH