

La CEDH confirme le pouvoir des autorités françaises de verbaliser une personne ayant participé aux mobilisations des gilets jaunes alors qu’une interdiction de manifester strictement définie dans l’espace et dans le temps avait été prise.
CEDH, 24 octobre 2024, Eckert c. France, n°56270/21
Dans une décision rendue le 24 octobre 2024, la Cour européenne des droits de l’Homme juge que l’amende reçue par la requérante au motif qu’elle participait à une manifestation interdite lors du mouvement des “gilets jaunes” ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la liberté de manifester au titre de l’article 11 interprété à la lumière de l’article 10 de la Convention.
En l’espèce, dans un contexte de mobilisations hebdomadaires dont les multiples revendications ont formé le mouvement dit des “gilets jaunes”, une interdiction de manifester strictement délimitée dans l’espace et dans le temps fut prise par un arrêté préfectoral de la Gironde. Celui-ci répondait à un appel à manifester circulant sur les réseaux sociaux, qui n’avait pas fait l’objet d’une autorisation préalable. Le motif de l’interdiction portait sur la prévention de tout trouble à l’ordre public et concernait la journée du samedi 11 mai 2021 dans un périmètre bien défini du centre-ville de Bordeaux où la requérante fut contrôlée parmi d’autres manifestants puis verbalisée. Conseillère municipale de Bordeaux au moment des faits, elle décide alors de contester l’amende reçue, d’abord par une requête en exonération, puis devant le juge pénal par voie d’exception. Les rejets successifs la conduisent à se pourvoir en cassation en soulevant cette fois-ci une atteinte à sa liberté d’expression et de réunion protégées respectivement au titre des articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Ce recours est une nouvelle fois rejeté au motif que l’interdiction prise en toute légalité était proportionnée au but poursuivi par les autorités. Le litige arrive finalement devant la CEDH lui donnant l’occasion d’examiner pour la première fois des faits relatifs à la gestion de la crise des gilets jaunes par la France. La Cour requalifie l'examen de l’affaire au regard du seul article 11 qu’elle envisage néanmoins à la lumière de l’article 10.
La France ne conteste pas l’atteinte portée au droit à la liberté de réunion pacifique ici dans le cadre d’une manifestation. Ainsi, la question étudiée par la Cour dans cet arrêt est de savoir si ces restrictions peuvent être regardées comme légitimes au regard de l'alinéa deux du même article.
Dans un bref développement sur la recevabilité de l’affaire, la Cour rappelle que la manifestation en cause ayant un but pacifique entre sans difficulté dans le champ d’application de l'article 11, alors même qu’il existe un risque réel qu’elle soit à l’origine de troubles à l’ordre public. Elle précise par ailleurs qu’elle englobe comme restrictions portées à la liberté de réunion toutes les mesures prises avant, pendant mais également celles d’ordre répressif prises ultérieurement à la manifestation. Ainsi, après avoir déclaré la requête recevable la Cour s’adonne dans la suite de son analyse à un contrôle de l’ingérence portée à l’article 11 qu’elle développe tout au long de sa décision en abordant successivement la légalité, la légitimité et la proportionnalité de la mesure.
Elle vérifie donc dans un premier temps que l’atteinte est bien prévue par la loi. La Cour constate en l’espèce, l'existence de multiples bases légales accessibles au justiciable et prévisibles quant à leurs effets. Elle note par ailleurs en ce sens, que la diffusion de la restriction litigieuse notamment sur les réseaux sociaux permettait d’attester de la notoriété de celle-ci auprès du public. De plus, des voies de recours effectives permettent d’attester d’un réel contrôle de légalité et de limiter toute atteinte arbitraire.
L’analyse de la Cour se poursuit ensuite en confirmant que l'ingérence peut effectivement être considérée comme légitime au regard de la défense de l’ordre, la prévention des infractions et la protection de droits d’autrui.
Il revient dès lors à la juridiction de déterminer si cette restriction à la liberté de réunion apparaît comme nécessaire dans une société démocratique sur deux terrains : celui de la justification de l’interdiction de manifester et celui des mesures répressives prises à l’encontre de la requérante. Concernant la justification de l'interdiction de manifester, le contexte global des mobilisations est pris en compte, avec notamment l’énumération des débordements ayant eu lieu de façon répétée tels que des dégradations, des actes de violences et des interpellations de manifestants. Une autre spécificité liée au contexte, retenue par la Cour, est la faible structuration et l’absence de hiérarchie du mouvement. En effet, cette dernière aurait contribué, comme en atteste l'ignorance de l’obligation de déclaration préalable, à une communication particulièrement difficile entre les autorités et les organisateurs. Cette appréciation des faits permet à la Cour d’estimer que l’interdiction de manifester était légitime puisqu’il existait un risque sérieux d’affrontements violents avec les forces d’ordre et de dégradations constitutif d’un besoin social impérieux. Elle appuie cette interprétation en rappelant qu’en substance, l’interdiction s’appliquait localement permettant aux manifestants de se rassembler dans un autre périmètre. La Cour se concentre ensuite sur la justification de la mesure répressive prise à l’encontre de la requérante. Elle rappelle que le pouvoir de sanction des autorités dans le contexte d’une manifestation interdite est admis, s'il est conforme aux exigences de la Convention. En l’espèce, la requérante n’a pas fait l’objet d’une arrestation, mais d’un simple contrôle d'identité suite à son refus de quitter les lieux conduisant à l’attribution d’une amende de 150 euros. La Cour qualifie cette dernière de peine légère lui permettant de conclure à l’absence de mesure disproportionnée.
Dès lors au vu d’une appréciation in concreto du contexte global des manifestations endémiques à cette période, mais aussi de la situation particulière de la requérante, la Cour, considérant la marge d’appréciation reconnue aux États contractants, conclut qu’il n’y a pas eu violation en l’espèce de l’article 11 de la Convention.
Marine DAHI
M2 DEDH