Le retrait du statut de réfugié et/ou de la qualité de réfugié ne permet pas, aux autorités nationales, de s’abstenir d’étudier les risques de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention par les ressortissants russes d’origine tchétchène
(CEDH, 30 août 2022, R. c. France, requête n°49857/20 - CEDH, 30 août 2022, W. c. France, requête n°1348/21 - CEDH, 6 octobre 2022, S. c. France, requête n°18207/21)
Les arrêts R. c. France, W. c. France et S. c. France, rendus par la Cour européenne des droits de l'Homme (« la Cour »), sont relatifs à l’expulsion de ressortissants russes d’origine tchétchène vers la Russie à qui le statut de réfugié avait été retiré par les autorités françaises. Les trois requérants ont saisi la Cour au motif que leur expulsion en Russie leur faisait courir le risque d’être exposés à des actes de torture, des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l'Homme (« la Convention »).
Le 30 août 2022, la Cour a rendu deux arrêts : R. c. France et W. c. France, à l’occasion desquels elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention.
Dans l’arrêt R. c. France, la Cour est arrivée à cette conclusion après un raisonnement au cours duquel elle a d’abord constaté que le requérant possédait toujours la qualité de réfugié et elle a affirmé qu’il s’agit d’un élément devant être particulièrement pris en compte par les autorités nationales lorsqu’elles étudient la réalité du risque de subir des traitements contraires à l’article 3 allégué par le requérant en cas d’expulsion. En l’espèce, la décision fixant la Russie comme pays de destination ne mentionnait, à aucun moment, la conservation de cette qualité et n’a pas examiné la justification des risques allégués de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. La Cour constate également que les autorités françaises n’ont effectué une analyse suffisante des risques que postérieurement à l’expulsion du requérant vers la Russie. La Cour a affirmé que cela ne saurait remédier aux insuffisances de l’analyse initiale des risques, ce qui lui a permis de conclure à la violation de l’article 3 de la Convention.
Dans l’affaire W. c. France, la principale différence est que le requérant a perdu la qualité de réfugié en raison du fait qu’il a volontairement réclamé à nouveau la protection du pays dont il a la nationalité, en demandant un nouveau passeport aux autorités russes. La Cour ne remet pas en cause cette décision mais l’étude des risques de subir des traitements contraires à l’article 3 est indépendante en raison du caractère absolu de la protection de l’article 3. En l’espèce, le requérant a démontré qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, en cas de renvoi en Russie, il serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires à la Convention. En effet, d’un côté, les autorités françaises ont été en lien direct avec les autorités russes lors de la procédure pour renvoyer le requérant. Par conséquent, elles sont au courant de son motif d’expulsion, étant l’appartenance à la mouvance islamiste radicale tchétchène, son passé de combattant au sein d’une organisation terroriste tchétchène et son engagement au sein du jihad international. D’un autre côté, le requérant a fourni deux convocations émises par le ministère de l’Intérieur russe à son encontre ainsi que les témoignages de sa famille affirmant que les autorités russes les interrogent souvent à son sujet. La Cour juge, par conséquent, qu’il existe des risques sérieux et avérés de conclure à un risque réel de voir le requérant subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, en cas de renvoi en Russie, que les autorités françaises n’ont pas pris en compte. C’est pourquoi il y a violation de l’article 3 de la Convention.
Dans l’arrêt S. c. France, rendu par la Cour le 6 octobre 2022, en l’espèce, la Cour nationale du droit d’asile a déclaré que la décision d’accorder le statut de réfugié au requérant était nulle et non avenue au motif qu’elle avait résulté d’une fraude et que le requérant n’avait apporté aucun élément sérieux permettant de démontrer que leurs craintes en cas de retour en Russie étaient bien fondées. Son expulsion a été prononcée au motif qu’il était affilié à un groupe islamiste radical. Dans son arrêt, la Cour procède au même raisonnement que lors des deux arrêts précités pour affirmer que les autorités françaises ont violé l’article 3 de la Convention en raison du fait de ne pas avoir pris en compte les éléments apportés par le requérant permettant d’affirmer qu’il existe des risques réels et avérés d’être exposé à des traitements contraires à l’article 3, en tant que personne originaire du Nord Caucase soupçonnée de faits de terrorisme et d’être liée à la rébellion tchétchène.
A travers ces arrêts, la Cour met l’accent sur l’importance qui doit être accordée à l’étude individuelle des risques de subir des actes de torture ou des traitements inhumains et dégradants par les ressortissants russes d’origine tchétchène, malgré le retrait de leur statut de réfugié et/ou de leur qualité de réfugié.
M2 Droit européen des droits de l’Homme